Centre Pompidou

Bernard Tschumi

30 Apr - 28 Jul 2014

© Bernard Tschumi
Maquette de rendu, 1983-1992
plexiglas peint et métal
19 x 153 x 39 cm
BERNARD TSCHUMI
30 April - 28 July 2014

L'architecture non pas du point de vue du style, mais à partir d'une série d'arguments conceptuels qui trouvent leur origine dans le cinéma, la littérature, les arts plastiques ou la philosophie.

Le Centre Pompidou a choisi d'inviter Bernard Tschumi, architecte et théoricien de l'architecture, et présente la première grande rétrospective de son œuvre à travers près de trois cent cinquante dessins, croquis, collages et maquettes inédits.
L'exposition met en lumière tour à tour l'architecte théoricien, le prescripteur culturel et l'architecte constructeur. Son parcours, scénographié par Bernard Tschumi lui-même, raconte une trentaine de projets de l'Europe aux États-Unis, de la Chine au Moyen-Orient, dont le nouveau Parc zoologique de Paris, anciennement zoo de Vincennes, inauguré le 10 avril 2014.

En explorant le processus de transformation d’une idée ou d’un concept en un projet d'architecture, l'exposition décrypte aussi pour la première fois la pratique de Bernard Tschumi. Depuis la fin des années 1970, il définit l’architecture non pas du point de vue du style, mais à partir d’une série d’arguments conceptuels qui trouvent leur origine dans le cinéma, la littérature, les arts plastiques ou la philosophie. Cette définition a radicalement renouvelé les méthodes de conception de l’architecture.

Entretien avec Frédéric Migayrou et Aurélien Lemonier, commissaires de l'exposition.
Extraits du catalogue (p 72- 83).

F. Migayrou et A. Lemonier - Comment appréhendez-vous une exposition qui pose la question d'un regard rétrospectif sur votre œuvre ?
Bernard Tschumi - L'exposition retrace ce questionnement de ce qu'est le temps en architecture, mais aussi de ce qu'est l'architecture elle-même. Devoir se remémorer une certaine façon de travailler m’a montré la cohérence et la continuité entre le travail des premières années et le travail d'aujourd’hui. Si, au début, c'était essentiellement la question d'un mode de notation exprimant mouvement et action dans l’espace, aujourd’hui, c'est celle de la matérialisation des concepts, certains déjà ébauchés à l'époque. On pourrait simplifier et dire que nous sommes passés de l'abstrait au concret.

FM-AL - Comment définir la première période de votre travail, [...] où il est question de non-architecture ?
BT - Nous sommes dans l'après-1968, dans une période qui est intensément critique. À cette époque, l'architecture a mauvaise presse, elle est vue comme un instrument du pouvoir ou de la grande finance. La ville, quant à elle, est passionnante. Comme objet multiple et complexe, la ville est une manière de se ressourcer, de réfléchir à ce que serait une approche de l'architecture non plus comme, pour reprendre la définition de Le Corbusier, « le jeu savant, correct et magnifique des volumes assemblés sous la lumière », mais comme quelque chose de très différent, qui ferait intervenir l'événement, l’action, le mouvement, le programme. À partir de cela, de nouvelles portes se sont ouvertes. [...]

FM-AL- Vous vous engagez à cette époque dans l'écriture [...] ?
BT - Vouloir questionner le dictionnaire des idées reçues de l'architecture ne pouvait pas passer par les conventions du dessin d'architecture. Il fallait prendre une distance. Entre 1970 et 1975, j'étais à Londres, à l'Architectural Association, dans un contact très fertile avec les polémiques de l’époque. Mais pour moi, à ce moment, le véhicule a d’abord été l'écriture. On peut penser l'architecture par d'autres moyens que par le construit ou le dessiné. L'architecture est une forme de connaissance avant d'être une connaissance de la forme.
Je cite toujours Introduction à l’analyse structurale des récits de Barthes, où il est facile de remplacer le mot « littérature » par le mot « architecture » pour avoir un texte théorique qu'aucun architecte n'a jamais écrit. Lorsque l'on pose la question des limites, des marges d’une discipline, on touche aux marges de l'architecture. Dans cette espèce de « no man's land », dans ce terrain vague qui ne fait pas partie des disciplines instituées, il y a des endroits extraordinaires. [...] L'architecture ne peut plus être simplement un mode de bien cadrer des espaces. C'est aussi un mode d'expérience, de manière de vivre. Il y a un dialogue incontournable entre le conçu et le vécu. Et c'est le point de départ de toute une recherche.

FM-AL - C'est le moment où la notation est apparue [...] ?
BT - Dans l'idée de notation, il y avait deux choses différentes. La première était une question de langage : si vous voulez changer quelque chose, il faut parfois changer la manière d'en parler. Quand Wittgenstein et Jameson parlent de la prison-house du langage, c'est parce que si l'on utilise des axonométries en architecture, inévitablement nous allons avoir des œuvres qui procèderont des axonométries. Par conséquent, il faut se poser la question de la langue qu'utilise l'architecte. C’est la première question, valide encore aujourd'hui lorsque l'on travaille en numérique. L'utilisation du numérique va-t-elle nous permettre de changer l'architecture, ou vat-on refaire la même chose mais en ajoutant des surfaces à double courbure ?
La notation vise également à documenter ces aspects qui n'avaient jusque-là pas été mis en avant dans l'architecture, c'est-à-dire le mouvement des corps dans l'espace, l'action, les conflits. Quand on est architecte, on reçoit des programmes avec tant de mètres carrés de ceci ou de cela. Ces mètres carrés reflètent des raisons souvent culturelles. La littérature se situe directement dans la culture qui, elle, va influencer notre manière de penser. Je me suis dit : « Au lieu de donner des mètres carrés à mes étudiants, je vais leur donner des extraits de textes. » [...]

FM-AL - Ces recherches sur la notation qui se substitue à la représentation, on les retrouve dans le théâtre, dans la danse, en littérature [...] ?
BT - [...] Un jour, je tombe sur deux petits ouvrages intitulés Film Form et The Film Sense d’Eisenstein. Pour les besoins d'Alexandre Nevski, il imagine un mode de notation où sont inscrits parallèlement les cadrages, les mouvements de la caméra dans leur propre temporalité, la musique et le mouvement des acteurs. Un peu comme une partition musicale. Ce fut une révélation parce que c'est une manière très organisée de parler d’architecture, non seulement de l’espace en plan ou en coupe, mais également à travers le mouvement des corps dans l'espace. C'est-à-dire en ajoutant une dimension qui rende compte de la réalité complexe de l'architecture. [...]

FM-AL - Quand vous avez fait le concours de la Villette, vous avez proposé de réaliser des Folies. [...] Comment s'est opéré ce retournement chez quelqu'un qui n'avait pas encore construit, qui avait une vision conceptuelle de l'architecture et qui venait de gagner l'un des projets des « grands travaux », l'un des plus marquants pour Paris et pour la France dans les années 1980 ?
BT - [...] C'était le moment de passer à une réalité autre que celle que j'inventais dans les dessins. Je voulais voir ce que je pouvais faire avec un vrai programme, comme passer des mathématiques pures aux mathématiques appliquées. J'ai commencé avec ce premier concours des grands travaux en appliquant certaines des découvertes des années précédentes : les modes de notation, la notion de concept, la dissociation entre action, mouvement et espace – qui deviendra point/ligne/surface –, la question du sens, même en négatif, comme avec les Folies. Et, d’un coup, il a été possible d'intégrer dans un seul projet la plupart des questions posées auparavant. [...]

FM-AL - Nous parlions des programmes et des concepts que vous mettez en place comme « cross-programming », « transprogramming ». Vous avez écrit un texte qui pose le problème de l'entre-deux. [...] L'architecture est là où elle n’est pas. Elle est toujours dans ce système d'entre-deux [...] ?
BT - L'architecture, ce ne sont pas des toitures, des façades, des fenêtres. C’est avant tout une enveloppe et un moyen d'y pénétrer et d’y circuler. J'ai donc commencé une série de projets centrés à la fois sur l'enveloppe et sur le mouvement, et surtout sur cet entre-deux. [...]

FM-AL - Entre le parc de la Villette, un parc conceptuel, un antiparc où la nature était presque absente au départ, et le zoo de Vincennes, avec une nature reconstituée, une animalité libérée puisque c'est un parc ouvert, les deux concepts complètement antithétiques semblent maintenant dialoguer [...] ?
BT - À l'époque où je développais l'idée de forme-concept, je me suis dit qu'il fallait également réfléchir à l'informe. Pour le zoo, il s'agissait de répondre à des contraintes économiques et programmatiques tout à fait inhabituelles. Comment créer un environnement intégrant ces impératifs fonctionnels et budgétaires, et constituer le pas suivant dans le vocabulaire de l'architecte ? L'un des concepts était que l'architecture soit identique pour les humains et pour les animaux. Les enveloppes seraient donc les mêmes, que ce soit pour les animaux ou pour les humains. Nous avons des enveloppes de verre, de grillage, de madrier. Parfois, ces enveloppes sont dissociées de leur fonctionnalité réelle : la maison des girafes est autant un abri animal qu'un bâtiment technique, autour duquel se trouve une double enveloppe de métal et de madrier qui ne procède pas d’un système formel. Voilà l'informe. Ce principe a été adapté à la plupart des équipements du zoo, dans un dialogue constant avec ces extraordinaires rochers de Charles Letrosne. Malgré des différences évidentes, s'instaure un échange avec le Parc de la Villette.
 

Tags: Le Corbusier, Li Hui